Retrouvez un article de Pierre Layan sur la revue www.dentalespace.com
Impérative en cas de fracture, la réhabilitation de l’incisive centrale constitue le défi majeur de la dentisterie esthétique. L’œil compare une dent antérieure à sa controlatérale. Ici, la controlatérale est la dent adjacente. L’effet miroir fait ressortir le moindre défaut de forme, de luminosité, de teinte ou de texture.
Monsieur T, 30 ans, se présente à notre cabinet après un choc violent au visage lors d’un match de rugby. À l’examen endobuccal nous constatons une fracture du bord incisif de la 11, sans exposition pulpaire. La 21 présente une fêlure horizontale, qui dévie la propagation de la lumière avec une translucidité augmentée au niveau du bord incisif.
PLAN DE TRAITEMENT PROPOSÉ AU PATIENT :
- Facette céramique sur la 11,
- Pas d’intervention sur la 21. La fêlure y est superficielle et une restauration serait trop invasive. Le patient est informé de la fragilité de cette dent et de la nécessité d’une surveillance régulière.
Avant de préparer une dent (taille et déshydration) il est primordial d’effectuer le relevé des teintes par photographies en lumière naturelle et polarisée. Nous utiliserons ici le protocole eLAB. Une carte grise étalonnée permettra au céramiste de calibrer les blancs sur le logiciel eLAB, visible ici dans sa version automatisée: eLAB prime(2).
Avant de commencer, un composite est monté (sans protocole adhésif) sur la 11 et la reconstitue. Une clef en silicone transparent est prise pour la réalisation de la provisoire. La préparation de la dent se fait à minima, car le substrat est clair, donc plus aisé à travailler. (Un substrat sombre nécessiterait un espace prothétique plus important ainsi qu’une chape à la fois plus épaisse et plus opaque.)
Ici, le céramiste retrouvera un substrat clair, similaire à celui de la controlatérale, avant de monter ses masses de céramique à la recherche d’un mimétisme en miroir. Le collage sera d’autant plus stable dans le temps qu’il sera fait sur de l’émail, d’où notre souci de préparer la dent a minima.
L’étape suivante est un nouveau relevé de la couleur du substrat, toujours par protocole eLAB.
La photo du visage du patient permettra au prothésiste d’analyser le rapport entre la position du maxillaire et la ligne bi pupillaire.
Sur la préparation, on place maintenant un spot d’etching, suivi d’un rinçage / séchage d’abord, puis d’un spot d’adhésif. Du composite photopolymérisable est alors injecté dans du silicone transparent afin de réaliser la provisoire.
Dans notre approche, le prothésiste est, à ce stade, dans la position du peintre devant une toile vierge(3). Fort de son expérience, et avec l’assistance du logiciel eLAB, il réalise la stratification et le montage de sa céramique(4).
Après réceptions et traitements des empreintes, nous réalisons un modèle de contrôle avec de la cire rose pour simuler la gencive et du composite naturel die pour reproduire la teinte du substrat, dans le but de se rapprocher au maximum de la situation clinique lors des différents essayages virtuels.
Nous réalisons un wax up virtuel de la dent définitive, pour visualiser l’espace total disponible censé recevoir une armature et du cosmétiques. Nous imprimons notre armature pour la presser par la suite.
En parallèle nous validons les photos grâce au logiciel elab-prime, afin de pouvoir commencer l’analyse, en choisissant la marque de la céramique que nous allons utiliser, le l.a.b du substrat, l’épaisseur de notre cosmétique et pour finir, le choix de la dent que nous souhaitons copier.
Sans suit une formule nous donnant la teinte de l’armature que nous devons réaliser, ainsi que deux mélanges pour la réalisation de nos dentines et les émaux à utiliser.
Une fois notre armature pressée, nous réalisons une cuisson de connexion; nous pouvons donc passer à la stratification, en respectant le schéma donné par le logiciel et y incorporer des subtilitées, opales, transparents colorés, fêlures…
Après notre première cuisson, nous procédons à la mise en forme de notre dent, et nous effectuons un polissage mécanique, afin de placer notre réalisation sur le modele de contrôle, pour une prise de photos selon le protocole eLAB dans le but d’effectuer un essayage virtuel.
Celui-ci, étant satisfaisant, nous décidons de glacer notre céramique et de l’envoyer au cabinet.
La céramique est validée avec le patient. Un try in à base de gel de glycérine est utilisé pour que la lumière soit transmise de la dent à la céramique sans interposition d’air. Puis, à sec, sous digue, l’adaptation de la céramique aux limites est vérifiée.
Le résultat à une semaine post réhydratation est très satisfaisant. Une cicatrisation post collage est nécessaire au niveau du collet de la 11.
L’esthétique de la céramique en bouche est contrôlée, notamment en observant attentivement les lèvres du patient.
Épilogue : La réhabilitation de l’incisive centrale reste une opération complexe. Dans le cas étudié, le résultat et la bonne intégration esthétique ont pu être obtenus grâce à la qualité du substrat des dents existantes, au talent et à l’expérience du technicien, à l’aide numérique d’eLAB et à… un zest de chance.
Références bibliographiques :
(1) Azogui, D. Derman, D. Ibraimi, B. Pomes : le protocole eLAB dans la réalisation d’une restauration unitaire antérieure, Réalité clinique 2019. Vol. 30, n° 1.
(2) A. Salehi et col : e-LAB : un nouveau système d’analyse et de contrôle chromatique. In Réalités Cliniques 2019. Vol. 30, n° 3 : pp. 206-214.
(3) Atsushi Suzuki : Opacity control using pressed ceramic part 1: material selection QDT 2014.
(4) Sacha hein et col : eLABor_aid: a new approach to digital shade management, in the International Journal of esthetic dentistry 2017. Vol 12 n° 2.
Le cas clinique a été réalisé par le Dr Pierre Layan, exercice privé : 2 avenue Hoche 75008 Paris. La céramique fut réalisée par Asselin Bonichon au laboratoire LNT- Laboratoire Nouvelles Technologies.
Ce cas clinique est le gagnant de la catégorie esthétique du concours Dental Challenge organisé sur Instagram.
L’INCISIVE CENTRALE, LE GRAAL DU PRATICIEN ET DU PROTHÉSISTE
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